Compte rendu de notre mission sur zone sinistrée en date du 19 mars 2010
Nous sommes rentrés jeudi soir d’une mission de quatre jours sur la région de Concepcion. Fatigués, impressionnés, mais satisfaits d’avoir pu apporter un peu de réconfort.
L’impression générale est que, si la vie a repris le dessus, la situation est très, très chaotique et qu’elle va perdurer ainsi de longs mois. La presse parle de retour à la normale, mais nos contacts quotidiens attestent que l’on en est loin. Les nombreuses répliques, dont certaines personnellement vécues, sont violentes ; elles entretiennent et accentuent l’angoisse, la peur et le trauma psychologique de l’ensemble de la population rencontrée. On vit dans l’instant, un présent où s’exprime une nervosité à fleur de peau à peine occultée par un humour fataliste. Le passé est derrière, quant au futur, on ne veut même pas en parler.
I- Actions menées
Notre court périple nous a permis de sillonner la région nord de Concepcion, notamment le centre de la ville elle-même, ses faubourgs, Lorenzo Arenas, Talcahuano, Chiguayante et Hualqui. Bien qu’en possession d’un sauf conduit délivré par l’armée chilienne, nous n’avons pas pu passer au sud, notamment à San Pedro, à cause des restrictions imposées à la circulation et du temps qui nous restait.
Nous avons apporté des cartons de vêtements, des couches pour bébé, des serviettes hygiéniques, des serviettes pour incontinence, de l’eau, des cahiers et des crayons pour les enfants, des colis de vivres. Notre petite voiture, une Renault Sandero, dont nous avions replié les sièges arrières, était pleine à craquer. Nous avions de plus pris nos affaires personnelles en eau, vivres et sacs de couchage de façon à ne pas être des poids supplémentaires pour les gens qui nous recevaient.
Nous avons également rendu visite à un couple chileno-français installé à Lonco Norte, à la sortie de Concepcion. Lui est chilien, medecin, elle est française. Ils ont une petite fille. Tous en bonne santé. Leur maison n’a pas subi de dommages. Leur accueil fut chaleureux.
Nous avons rejoint la zone en 6 heures 30, ce qui est une nette amélioration par rapport aux déplacements initiaux de 10 heures pour faire les 519 kilomètres d’autoroute.
II- Observations et impressions.
De loin, les premières sensations d’anormalité lorsque nous arrivons sont l’absence de fumée d’usines dans cette zone hyper industrialisée et la stagnation des bateaux dans ce qui est le deuxième port du pays. Puis lorsque nous nous rapprochons des faubourgs, notamment quand l’autoroute longe Talcahuano, la puanteur nous prend à la gorge. Une odeur fétide de putréfaction, de marée et de pétrole, qui n’est pas sans rappeler celle des élevages de porcs, ou mieux, ce que j’avais personnellement ressenti lorsque j’avais été détaché en mission sur certains charniers de l’est de la Bosnie en 1996.
L’arrivée à Concepcion est plutôt déconcertante, dans la mesure où il y a peu de destructions visibles dans les premiers faubourgs. On remarque quelques maisons effondrées ou endommagées selon une logique indéfinissable. L’une est à terre, alors que sa voisine est intacte, du moins le paraît. Les gens parlent ici de « terremoto mentiroso », c’est à dire de tremblement de terre menteur, car dans les faits, les dommages sont bien présents. Cela va des céramiques décollées au mur de soutènement lézardé, traces invisibles de l’extérieur, mais bien réelles pour celui qui y habite.
En revanche le centre ville est très abîmé. Entre les édifices détruits et ceux sérieusement endommagés, il est souvent risqué de déambuler entre des immeubles qui menacent de tomber. Il faudra le reconstruire entièrement, notamment tous les immeubles de la grande rue piétonnière.
Plus tard lorsque nous aurons l’occasion de visiter l’université, nous constaterons l’importance des dégâts du centre de biotechnologie. L’édifice lui-même a été légèrement endommagé, mais tous les laboratoires à l’intérieur ont été saccagés. Les microscopes renversés et brisés, les bacs de conservation des micro-organismes détruits et leur contenu avec, les appareils de mesure, dont certains équipés de la technologie laser (une petite fortune), rendus inutilisables. Ici les dégâts matériels se comptent en dizaines de millions de dollars. Mais plus grave, le séisme ruine des années de travaux de recherche et porte un préjudice sérieux au déroulement des études pour cette année.
Lorsque l’on revient en ville, on est frappé par le comportement des conducteurs. Le trafic, dans Concepcion, est redevenu important et peu fluide à cause des nombreux obstacles. Mais les gens roulent vite, sans se préoccuper ni des règles, ni de l’autre. C’est une conduite nerveuse, à la limite de l’agressivité. Expression du stress dont je parlais au début. Une absence de respect généralisé. On saisit son opportunité à n’importe quel prix.
Talcahuano est le plus dramatiquement touché. Là encore, la situation est variable selon les quartiers. Ceux situés sur les versants ont été affectés ponctuellement par des destructions dues au tremblement de terre. Les maisons les plus fragiles sont à terre. Pour les propriétés les plus résistantes, ce sont les murs de clôture qui sont effondrés. Mais pour la partie basse, notamment tout le centre à proximité du port, celle qui a subi le raz de marée, c’est un désastre. Nous avons pu entrer dans cette zone. Tout ou presque est détruit. On assiste à un enchevêtrement indescriptible de bateaux, de maisons, de tôles, de briques, de filets, de matériaux divers, de légumes et de poissons, tout cela englué dans une boue à faire vomir. Arraché, emporté, traîné, balancé sur plusieurs centaines de mètres à l’intérieur même de la ville, par une force extraordinaire dont nous ne pouvons, même de visu, estimer la puissance. Les bateaux rencontrés sur la place centrale sont tout de même des bateaux de pêche par l’arrière de quinze à vingt mètres de long. Là aussi la presse locale parle de normalisation. Il est vrai que les travaux de déblayage battaient leur plein, que l’électricité est revenue dans tout Talcahuano, que la distribution de vivres et d’eau est organisée. Mais celle-ci n’est pas partout effective. Dans un quartier comme celui de Cristobal Colon, des familles ont faim. Une caractéristique ici est l’habitation en condominium. Le plus souvent le propriétaire en occupe la maison principale, située à l’entrée. Les autres maisons, celles des locataires sont en retrait, voire au fond du terrain. Et lorsque les émissaires de la municipalité passent pour s’enquérir des besoins, ils s’adressent le plus souvent à la première maison, sans se préoccuper des autres. Ainsi l’aide arrive aux premiers, et moins souvent aux autres locataires. L’eau est revenue dans plusieurs secteurs, mais elle est nauséabonde et ne peut être consommée. Tous les habitants du centre ville sont regroupés dans des campements de toile sur le stade. D’autres s’abritent tant bien que mal. La plupart des gens ne veulent plus dormir à l’étage, même si leur maison est habitable, à cause des répliques. Au cours de notre séjour, nous en vivrons sept dont trois violentes (6,7). Les gens ont peur et vivent dans le stress quotidien. Comme les usines sont arrêtées, il n’y a pas travail, donc pas de rentrée d’argent. On s’organise comme on peut, en faisant du petit commerce, en bricolant, en participant aux travaux de déblaiement. Les écoles, pour celles qui peuvent accueillir les élèves, ne vont rouvrir que le 5 avril. C’est une catastrophe dont on voit mal une sortie à court ou moyen terme.
Chiguayante à quinze kilomètres de là est moins affectée. Les services d’électricité et d’eau ont été partiellement rétablis. Mais les infrastructures routières sont sérieusement endommagées.
Hualqui, idem. Par contre l’eau y toujours est distribuée, car le système général ne fonctionne pas encore. La route entre Chiguayante et Hualqui est très endommagée, voire dangereuse.
III- Les besoins
Les besoins d’urgence sont pratiquement résolus par les autorités, malgré les anomalies constatées et signalées auparavant. L’armée et des organismes d’entraide chiliens assurent la distribution de vivres et d’eau pour ceux qui en manquent. L’électricité, l’eau courante ont été rétablis dans Concepcion. Les liaisons téléphoniques fonctionnent, avec quelques coupures. Dans Concepcion, nous avons constaté l’ouverture de deux stations service et une seule à l’entrée de Talcahuano. Mais le système bancaire n’est pas rétabli. Ainsi à Concepcion, seule la banque « Banco Estado » assure le paiement à sa clientèle. Les commerces ont repris dans Concepcion, à Chiguayante et à Hualqui, mais pas à Talcahuano.
De l’ensemble de ce que nous avons vu sur cette zone, les besoins fondamentaux , maintenant, sont le logement, l’assainissement des secteurs et l’aide psychologique.
Le logement est un problème général, mais d’importance contrastée. Le plus dramatique est le cas des sans abris. Provisoirement, ils sont logés sous des toiles de tente. Une organisation chilienne, « Un techo para Chile » s’est engagée pour la construction de 15 000 maisons en bois, mais c’est dérisoire par rapport aux besoins, de l’ordre de deux millions, de plus son offre concerne toute la zone sinistrée. Or pour le seul cas de Talcahuano, il faudrait reloger près de 20 000 personnes, et je n’évoque pas Penco, ni Tumbès, ni Dichato, villages situés à proximité, littéralement rasés, dont on nous a parlé. C’est le besoin le plus critique, notamment dans la perspective hivernale. Cette région du bord de mer est pluvieuse, humide et la température en automne et en hiver, s’il n’y a pas de gelée, reste de l’ordre de 8 à 10 degrés. C’est donc un froid humide difficile à supporter dans de mauvaises conditions.
Sinon, la plupart des habitants sont plus ou moins concernés par des réparations, parfois urgentes. Dans un édifice à l’entrée de Concepcion, ce sont tous les sanitaires qui ont été endommagés. Pour d’autres, ce sont des réparations de murs ou de toits. Tout le monde n’a pas les revenus suffisants pour faire rapidement ces travaux.
L’assainissement général. Il est devenu impératif à Talcahuano où les rats sont nombreux. La demande des habitants nous permet de penser que les services de dératisation, qui existent, ne peuvent répondre au besoin. L’assainissement concerne aussi le traitement des eaux. Si à Lorenzo Arenas et à Concepcion, le système d’eau courante et potable fonctionne, ce n’est pas le cas à Talcahuano et sans doute pour de longues semaines compte tenu des dégâts causés à l’ensemble du réseau par le tsunami. L’eau servie doit être traitée au chlore. Ce détergent est si demandé qu’il vient à manquer.
Enfin le troisième besoin qui manifestement concerne tout le monde est le soutien psychologique. Une mission française est venue sur zone faire une évaluation. Nous ne savons pas quelle suite sera donnée. Le service santé du Chili s’est penché sur le problème, mais n’a pas l’envergure suffisante pour répondre aux besoins énormes. Ce qui est regrettable, c’est que les traitements prodigués sont à base de calmants et d’antidépresseurs avec toutes les conséquences que l’on connaît. Disons que ça fait le bonheur des pharmacies. Une aide psy serait pourtant le secours le plus efficace et le moins nocif.
IV- Ce que nous pouvons faire.
Il est certain que dans les semaines qui suivent, notre action paraît dérisoire par rapport à la tâche. Nous ne sommes plus dans l’urgence vitale, mais déjà dans la reconstruction. Il faut bien reconnaître que l’action à mener surpasse largement nos moyens.
Cependant, nous avons reçu de l’aide tant du Chili que de l’étranger. De plus, nous pouvons encore apporter ne serait-ce que ponctuellement un peu.
Tout d’abord nous tenons à remercier tous ceux qui ont répondu à notre appel. Nous avons reçu 1420 euros de l’étranger, (Allemagne-France-Colombie). Du Chili, nous avons reçu près de dix cartons de vêtements, des cartons de vivres et des pesos, ce qui nous a permis d’acheter les couches pour bébé et les serviettes intimes.
Jusqu’à maintenant, nous avons remis sur place la totalité de l’aide reçue du Chili. Nous n’avons pas encore touché à l’aide en euros. Elle représente près d’un million de pesos. C’est à la fois peu et beaucoup. Comme nous n’avons pas l’intention de faire de « l’épicerie » avec, nous envisageons au moins deux solutions, soit la remise de la somme à une famille de sans abris pour l’aider à refaire sa maison. (nous avons quelques exemples possibles), soit l’utiliser pour régler les travaux, partiels ou spécifiques, de plusieurs familles moins affectées. Nous prendrons notre décision à l’issue de la réunion de comité prévue vendredi 26 mars. Néanmoins avant celle-ci, toute idée sera la bienvenue.
Dans l’état des choses, nous n’allons pas solliciter davantage votre aide, même si comme on peut le constater, il y a beaucoup à faire. Ce n’est plus de notre domaine. En revanche si certains souhaitent poursuivre l’effort pour le Chili, nous leur recommandons de le faire par le biais de gros organismes comme la Croix Rouge ou Caritas. Une autre façon pourrait être de relayer cette information et la passer notamment à des entreprises de fabrication de bungalows. Un projet d’aide sur ce terrain nous paraît être tout à fait adapté. Mais le circuit sera alors les Affaires étrangères, voire directement l’ambassade de France au Chili.
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