Alors que ma mémoire est notoirement éléphantesque, j'oublie systématiquement les dates. D'où la nervosité d'Olivier quand on me demande la date d'anniversaire de ma fille et, qu'invariablement je me trompe. Les gens vont finir par croire que nous l'avons enlevée. Avec l'inversion des saisons au Chili, les choses se sont encore aggravées et je dois consulter un calendrier pour vous dire quel jour nous sommes. Je vis depuis mon enfance dans le syndrôme de Peter Pan, le temps n'a pas de signification pour moi. Et je me pince régulièrement pour croire que je vais avoir 38 ans dans quelques jours.
Ce n'est donc pas par coquetterie ou effet stylistique "grand Meaulnes" que les années K. ne sont pas datées. Elles suivent une chronologie personnelle entre deux batailles décisives. Je ne connais qu'une date fixant le début de mon entrée en résistance : les grandes grèves de 1995. Vu l'impact qu'elles ont eu sur moi, j'ai longtemps espéré qu'un sociologue finirait par sortir une analyse de leur impact sur ma génération. Rien n'a été publié de tel. Il faut donc croire que ce fut sans importance après tout. Au début c'était étrange presque drôle, Paris embouteillé puis vide, plus de factures, plus de courriers, les longues ballades à pied, la paralysie soucieuse, les grilles de métro baissées et le froid mordant. J'ai vraiment cru que le grand soir allait arriver et en Parisienne, je découvrais ce qu'avaient du ressentir les Parisiens durant l'occupation : le piège de la vie urbaine.
Et puis un matin, le métro a repris et, la vie continuait. Enfin, presque, j'ai lu quelques mois plus tard que la RATP avait perdu presque 10% de ses clients. Vraisemblablement des personnes qui avaient su s'organiser et qui avaient préféré éviter de revenir. Je ne pouvais pas faire comme ces "radicaux" mais j'ai réussi à rester une grande marcheuse par la suite. Mais peu importe que je sois revenue sur les quais du métro. Une partie de mon âme est partie durant ces grandes grèves. Un détachement méfiant face à une société que je ne comprenais pas. La sensation que nous avions frôlé un tournant historique et la déception de voir que tout revenait à la normale. Mon entrée en résistance s'est faite à ce moment et je regardais incrédule le monde tourner comme avant.
J'ai ressenti la même chose avec la crise économique (à une échelle mondiale forcément plus impressionnante) que nous sommes en train de vivre. Dans notre entourage proche, les dominos s'effondrent et nous assistons impuissants à la disparition du monde que nous connaissions. Je ne crois pas les journaux quand ils affirment que la reprise est pour demain, il y a une perte de confiance énorme et les Chinois avec leurs réserves énormes seront les acteurs prédominants dans ce monopoly géant. En parlant avec nos amis, nous découvrons que nous ne sommes pas les seuls à être sortis du système bancaire, à refuser l'endettement. L'or redevient un investissement envisageable, la terre aussi. Je ne sais pas si des études seront faites mais 2008 représentera l'entrée en résistance d'un certain nombres de personnes. Bienvenue de ce côté-ci de la force, il n'y fait pas plus sombre...
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